Embrasement flamenco
Cher J-B,
En route pour Grenada, un peu perdue et dépaysée par l’impression d’immensité d’un paysage gris vert caractéristique des oliviers qui façonnent la vue, j’aperçois au loin sur la colline un taureau Osborne, je souris face à cette allégorie consumériste devenu symbole national. Accompagnée par Alba Molina, je chante faux mais à-tue-tête « No puedo quitar mis ojos de ti », et j’ai l’impression d’atteindre à travers une playlist de flamenco, l’essence de la complexité Andalouse, un peu cliché, non ? Pas tant
Berceau du flamenco, dans chaque copla, on retrouve en même temps que sa propre histoire personnelle, l’histoire de l’Andalousie. C’est l’âme d’un terroir, l’âme d’un peuple qui s’élève dans chaque cante (chant), qui se révèle dans chaque toque (musique) et qui se lève dans chaque baile (danse). Le caractère sacré de cet art a très certainement pour cause la fusion de population dans le carrefour andalou. L’adoption du chant Byzantin par l’Église catholique, presque huit siècles d’invasion arabes, ainsi que l’installation de famille gitane à partir du XVe siècle, ont fait de l’Espagne et plus particulièrement de l’Andalousie le cœur de l’art flamenquiste.
Un mouvement de main fleuri, un coup de talon qui claque sur un air de guitare, une voix grave qui s’élève rythmé par des palmas, mon esprit s’évade, et je me revois sur la place d’Espagne à Séville, dans ma robe vichy recevant une claque monumentale face à ce que je juge être la plus belle place du monde, émerveillée d’assister à mon premier flamenco, au cœur de l’histoire andalouse.
C’est peut-être de là que je tire mon sentiment d’éternité, l’idée que le flamenco m’ancre dans mes racines, comme si la mélancolie flamenquiste s’emparait de moi pour me conduire face à mon histoire, face à moi-même, comme si l’engouement des palmas s’harmonisait pour me faire vibrer.
Il est probable que mon petit coup de soleil sur le nez, autant que mon amour naissant et profane pour le flamenco m’ont induit en erreur sur l’unité de cet art, qui parait être resté le même depuis sa création.
Mais le flamenco est multiple, il n’y a pas un flamenco, mais une multitude de flamencos. Même si les puristes, tel que le merveilleux poète Federico García Lorca prônait un retour au cante jondo (chant profond), forme originelle du flamenco, je ne peux pas croire qu’il ne serait pas admiratif et fière des réinventions contemporaines diverses que proposes les talentueux héritiers des familles flamenquistes.
Art familial, le flamenco est pour beaucoup de famille andalouse le fil rouge qui rassemble ses membres, parce que plus qu’un art c’est un art de vivre qui prend forme dans tous les pans de la vie d’une famille. Tu t’en doute surement, être là face à ce paysage, entendre de vieilles chansons espagnoles, tout en découvrant le Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias de Federico García Lorca, me plonge dans une douce mélancolie du souvenir de mon grand-père. Histoire de famille, la plus grande force du flamenco est de plonger chacun dans sa généalogie, et je n’y échappe pas.
Sur ces belles émotions, je viens clôturer cette lettre, d’autant plus que je vois la serveuse arriver avec mon cherry.
Je t’écrirais une nouvelle lettre dès que j’arrive à Grenada, pour te raconter les merveilles que j’aurais découvert, je suis tellement impatiente, je peux même dire que je trépigne d’impatience.
Baronne d’Aubonne